Le positionnement de l’architecture d’entreprise par rapport aux autres disciplines

Comment se positionne l’architecture d’entreprise par rapport aux disciplines transformationnelles[1] ?

La figure ci-dessous tente une première mise en ordre. Le niveau supérieur représente celui des considérations globales, s’appliquant à l’ensemble de l’entreprise. Il s’agit, de plus en plus, d’une fédération d’entreprises, composée de nombreuses entreprises liées par des relations capitalistiques, juridiques, commerciales ou partenariales. À cet étage, un concept pivot est celui de la chaîne de valeur étendue.

Le paysage des disciplines de la transformation (en théorie)

Le paysage des disciplines de la transformation (en théorie)

Conformément à la définition donnée dans l’Enterprise Transformation Manifesto[1], l’architecture d’entreprise se situe à ce niveau, du moins si elle reste fidèle à sa première inspiration.

Stratégie et architecture : une collaboration nécessaire

À ce niveau, l’architecture d’entreprise cohabite avec l’élaboration de la stratégie d’entreprise : non seulement elle reprend les orientations stratégiques pour en déduire les implications, dans tous les aspects de l’entreprise, mais encore elle informe la stratégie sur les opportunités ou les contraintes relatives à l’entreprise ou à son environnement. On pense, bien sûr, aux innovations technologiques à domestiquer pour les mettre au service de l’entreprise. D’autres opportunités peuvent se présenter : innovation organisationnelle, style de management, reconception de l’offre, extension de la chaîne de valeur, etc. Le stratège n’est pas forcément sensible à toutes ces questions. Son regard est surtout tourné vers l’extérieur, le marché, la concurrence… Son horizon est le moyen terme (disons trois ans), voire le court terme (avec les « stratégies glissantes »). Au contraire, l’architecte connaît l’entreprise, il la modélise et la traite comme un système, avec ses finalités, ses propriétés émergentes, ses contraintes et ses possibilités d’adaptation ; il est très conscient de l’inertie de ce paquebot et sensible à la longue durée dans laquelle la transformation doit se déployer. Le dialogue doit impérativement s’établir entre ces deux compétences tout à fait complémentaires :

  • Le stratège donne la direction ; l’architecture en déduit l’esquisse du Système Entreprise à construire.
  • L’architecture identifie le potentiel de transformation ; le stratège cherche à l’employer dans le contexte du marché.

Management stratégique : le discours directionnel

Toujours au niveau de l’entreprise, l’architecture d’entreprise voisine avec le management. Tout naturellement, la relation devrait s’établir avec le management stratégique (disons le PDG), seul capable d’affirmer la vision, d’affermir les volontés et d’impulser la transformation. Qu’est l’architecte sans le prince ? On peut mobiliser Le Brun, Le Nôtre, Le Vau ; sans Louis XIV, il n’y a pas de château de Versailles.

L’architecte apporte le savoir, précise la vision et fournit les plans ; mais la volonté reste dans le management.

Il y a quelque chose d’un peu pitoyable (au sens premier du terme : qui inspire la pitié), à considérer le patron réitérant ses injonctions à innover, ses incantations sur la convergence ou l’orientation client (ou la simplification administrative), sans se montrer capable de remplir le concept. Très vite, dans l’esprit de tous, les formules se vident de substance et il ne reste que des slogans creux. Nul ne saurait reprocher au dirigeant cette situation : le « remplissement du concept » (pour reprendre une formule heideggérienne) n’est pas de son ressort. Mieux vaut voir dans cette situation une défaillance de la courroie de transmission vers les compétences dont c’est le rôle : justement celles de la conception architecturale dans toutes ses spécialités. Or, puisque l’architecture d’entreprise s’est confondue avec l’architecture informatique[2], il ne vient à l’idée de personne qu’elle puisse intervenir pour relayer le discours directionnel – précisément : le discours de la direction et le discours qui donne la direction. Pourtant, quand cette discipline se montre capable de réaliser ses potentialités à travers un exercice correct, elle étaye le discours et précise la vision en décrivant concrètement la cible à atteindre, l’entreprise future à construire.

Management opérationnel : la culture de l’entreprise « transopérationnelle »

Sur ce schéma, le management est positionné à cheval entre la transformation et les opérations. On vise ici le management opérationnel. En effet, l’idée va plus loin que le classique jeu de rôle entre le DG – pilotant les opérations – et le PDG – s’occupant de la vision de l’entreprise future (donc, de la transformation). Dans l’entreprise moderne, un nouvel équilibre doit s’instaurer entre transformation et opérations. Ces activités doivent se mêler plus intimement dans l’entreprise « transopérationnelle », pour que celle-ci s’adapte en permanence et rapidement à un environnement changeant. Ce nouvel alliage seul pourra rendre l’entreprise réellement agile.

Ainsi, même les managers opérationnels et tout le middle-management doivent avoir un pied dans la transformation. À eux de détecter les dysfonctionnements et les opportunités d’amélioration. Ceci suppose une conversion culturelle et une éducation qui contredira les tendances naturelles.

La ligne hiérarchique doit repenser son rôle et ses pratiques, se débarrasser de ses mœurs courtisanes et se penser comme le canal assurant la diffusion accélérée des idées innovantes et des initiatives de transformation, dans les deux sens.

Aujourd’hui, le constat que tout le monde partage, chacun l’exprimant dans ses propres termes, est celui d’un système bloqué, dévoyé :

  • en bas, dans la soute, des opérationnels persuadés qu’ils ne seront pas écoutés et qui ont perdu, de ce fait, la faculté de reconnaître les bonnes idées, quand elles se présentent ;
  • au sommet, des dirigeants qui font la danse de la pluie, qui assurent la représentation, mais qui se sentent impuissants à peser réellement sur le cours des choses.

Cet état s’observe, tant dans la société que dans les organisations. On pourrait y voir un état de civilisation. L’un accuse les jeux de pouvoir, un autre le court-termisme, un troisième l’influence du capital ou de la taille des empires créés par la mondialisation, etc. Les facteurs sont nombreux ; la prise de conscience, étonnamment répandue. Il ne faudrait pas omettre un autre élément, de nature plus psychologique : l’individu, coincé dans sa case, finit par la trouver confortable, il renonce assez facilement à ses velléités d’action, et ne demande qu’à échapper à ses responsabilités. Pour cela, le blocage du système lui fournit un alibi bien commode (voir, par exemple, ce que dit François Dupuy sur les silos. Cf. Lost in management).

Cette logique délétère qui bloque l’entreprise, on n’y échappera qu’en s’appuyant sur le management opérationnel et en l’impliquant fortement dans la transformation. Ceci réclame un choc culturel – électrochoc sur un monstre assoupi.

Architecture métier : le premier moment de l’architecture d’entreprise

Sur la figure, le niveau suivant concerne toujours l’entreprise prise globalement, mais il introduit une séparation entre, d’un côté, le « métier » et, de l’autre, la technique. Cette spécialisation répond à la prise en compte réaliste des limitations humaines : on ne peut pas mettre toutes les compétences dans un même cerveau. L’architecture métier, comme toute architecture, adopte un point de vue global sur le système et assume les préoccupations sur la longue durée. Elle le fait sur une partie seulement des aspects du Système Entreprise :

  • l’aspect intentionnel (les valeurs, les objectifs, les exigences, les indicateurs, les règles, la terminologie) ;
  • l’aspect sémantique (la connaissance, les fondamentaux du métier) ;
  • l’aspect pragmatique (les activités et l’organisation).

Disciplines techniques

Les aspects techniques sont laissés à d’autres disciplines, telles que l’architecture informatique. On distingue :

  • l’architecture logique, élaborant la structure souhaitée pour le système technique (informatique comprise) ;
  • l’architecture technique, explorant les possibilités technologiques et les combinant pour traduire la spécification logique en un système qui fonctionne ;
  • l’architecture physique qui s’intéresse à l’infrastructure, au déploiement et à l’exécution des moyens techniques.

Architecture et conception

Le troisième niveau de la figure correspond aux disciplines de portée locale, c’est-à-dire, presque toujours, celles qui s’investissent en mode projet. L’architecture est là pour canaliser cette énergie, de façon à avancer plus rationnellement et plus rapidement dans la construction du système. À ce niveau, du côté du métier, se situe la Business Analysis, discipline bien constituée qui dispose de ses instances représentatives et de son référentiel. Toujours par fidélité naïve à la langue, on peut se demander pourquoi il n’existe pas une discipline Business Design, pendant créatif de la Business Analysis. Cette absence entraîne des conséquences : la faible capacité à innover dans le métier.

Du côté technique, l’arbre des disciplines se ramifie bien plus, du fait de la complexité des sujets et de la variété des expertises.

Architecture d’entreprise : par voie de conséquence

Après ce petit essai de mise en ordre des disciplines, l’architecture d’entreprise apparaît sous un jour nouveau. Nous la découvrons comme le lieu où tout converge. Plutôt qu’une spécialité pointue investissant tel ou tel aspect, elle est la capacité à concilier les différents points de vue et à garantir l’unité de la vision. Elle doit tenir, d’une même main, les rênes des disciplines de conception du Système Entreprise. Elle doit guider l’attelage, dans la direction fixée par le stratège. Sa responsabilité consiste à assurer la cohérence du projet de transformation.

Sans cette fonction, beaucoup d’énergie et de talents seront gaspillés ; beaucoup d’opportunités manquées.

L’architecture d’entreprise doit assurer la circulation des idées, en mettant en œuvre une approche holistique de l’entreprise.

Évidemment – l’expérience le montre assez –, la position centrale, de surplomb, présente des risques, dont celui de la tour d’ivoire. Il importe que le travail d’architecture d’entreprise ne s’arrête pas à quelques généralités, assorties de vagues schémas ou de présentations simplistes et démagogiques. Le mot « architecture » doit être pris dans son sens fort : le travail commence par une esquisse, certes, mais à la fin, le bâtiment doit tenir debout et se prêter à tous les usages prévus. On ne peut atteindre cet objectif qu’avec le secours des techniques de modélisation, car elles apportent le niveau de précision nécessaire ainsi que les règles formelles par lesquelles l’architecte peut vérifier la validité de sa conception. Avant cela, le premier instrument est le cadre de représentation : il donne la topologie de l’entreprise, nécessaire pour ordonner les sujets à traiter et pour distribuer les responsabilités, toutes disciplines confondues.

Article en format pdf : PositionnementEA

[1] Cf. www.enterprisetransformationmanifesto.org.

[2] Voir le billet « Le PDG est le premier client de l’architecture d’entreprise…(en théorie) » sur LinkedIn ou sa version étendue « Comment promouvoir une démarche d’architecture d’entreprise ? », sur le site web de Praxademia.

[1] Nous nommons « transformationnelles » les disciplines impliquées dans la transformation des entreprises.

SOA en quatre messages

1. SOA est un style d’architecture de système informatique

Pour élaborer la structure d’un système informatique, nous recourons toujours à une métaphore : fonction, machine, ville, service, événement, agent… La plus traditionnelle et encore la plus ancrée dans les esprits est celle de l’architecture fonctionnelle, par laquelle nous percevons le système comme un ensemble de fonctions. Elle a montré ses limites puisqu’elle est associée à la décomposition hiérarchique et entraîne un fort taux de redondance. La métaphore la plus actuelle est celle du service, caractéristique de l’approche SOA (service oriented architecture). Elle agrège de nombreuses notions connexes telles que le contrat et l’encapsulation.

Aborder un système par le truchement d’une métaphore est un acte propre à l’architecture logique : la conception d’un système artificiel, dans une relative indépendance par rapport aux choix techniques.

Le premier message de Praxeme pour SOA est l’importance des disciplines d’architecture logique et de conception logique pour tirer parti de l’approche SOA.

Styles

2. Les promesses de SOA ne se concrétisent que quand on consent un effort de restructuration du système

On oppose ainsi :

  • SOA de surface, qui consiste à brancher quelques services sur un système auquel on ne touche pas ;
  • SOA de refonte, qui généralise la métaphore à l’ensemble du système et, progressivement, transforme celui-ci significativement.

Évidemment, si on applique la première approche (on pourrait dire : FOA, la fausse SOA), il ne faudra pas s’étonner que les retombées promises (réutilisation, simplification, interopérabilité, agilité…) n’auront pas été tenues.

FOA versus SOA

3. La mise en place d’une SOA prend son sens dans une stratégie d’urbanisation du système informatique

Cette conclusion découle de la précédente : la conversion d’un système en architecture de services est un processus patient, qui exige une continuité de vision et une grande constance sur le long terme. Tout à fait les caractéristiques de l’urbanisation.

Il convient donc d’articuler soigneusement les deux disciplines de l’urbanisation de SI et de l’architecture logique. Ceci réclame des dispositions pratiques, notamment en ce qui concerne les représentations du système mais aussi en termes d’organisation et de gouvernance SI.

POS versus Graphe d'architecture logique

4. La bonne volonté et l’intuition sont insuffisantes pour mener à bien la transformation d’un système informatique

Il y faut de la rigueur et des techniques précises, conçues pour affronter la complexité propre aux systèmes d’information. Se lancer dans de tels travaux sans méthode serait naïf et suicidaire. On observe encore trop souvent des équipes qui s’écharpent sur la notion de service, qui s’épuisent en vaines considérations sur la granularité ou la typologie des services, ou qui bricolent de prétendus méta-modèles. Aurait-on accepté un tel gaspillage dans les années 80 ? Non, pas au moment où les managers savaient imposer les méthodes à leurs équipes. Certes, cette attitude était facilitée par l’existence de méthodes de référence largement répandues et appuyées par la Puissance publique. Autre temps, autre mœurs !

Il existe néanmoins une réponse toute prête : Praxeme pour SOA, c’est-à-dire, dans la méthodologie de transformation des entreprises, la partie  dévolue à la conception des systèmes informatiques. Élaborée à partir de 2003 et mise au point sur de grands projets, elle a été appliquée de nombreuses fois et a été consolidée. Sa version 2 est diffusée à travers la formation « SOA, conception d’une architecture de services« . Elle sera publiée en fonction des opportunités (guide « Approche de l’aspect logique » et fiches de procédés).

Postionnement de l'aspect logique

Pour aller plus loin…

Ces quatre messages sont développés dans l’article « Quatre idées fortes de Praxeme pour SOA« .

Enterprise Transformation Manifesto

L’Enterprise Transformation Manifesto récapitule les préoccupations des entreprises, face à leurs responsabilités pour l’avenir. Il exprime la philosophie qui inspire l’initiative pour une méthode publique et en fixe les principes.

Il contient :

les règles d’or pour améliorer les entreprises,
dans le respect des valeurs et intérêts fondamentaux de la société

 

Dominique Vauquier l’a rédigé pour récapituler les préoccupations des décideurs et leur en donner un résumé structuré et positif. Sur chaque thématique (valeurs et responsabilité de l’entreprise, innovation et transformation, qualité et motivation), le manifeste formule les principes d’action que l’on retrouve déployés dans la méthodologie d’entreprise.

Toute organisation peut utiliser le manifeste pour guider sa réflexion sur la transformation. Elle peut également le signer, pour montrer son adhésion aux valeurs et principes qui y sont présentés.

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