Comment promouvoir une démarche d’architecture d’entreprise ?
La question a été posée par les décideurs informatiques réunis à l’occasion du Petit-Déj’SI®, au mois de mai. Elle a été retenue comme thème de la prochaine séance qui se tiendra le 15 octobre.
Le fait que la question se pose et qu’elle soit posée par des décideurs informatiques révèle déjà beaucoup de choses :
- tout d’abord, que la discipline d’architecture d’entreprise est interprétée comme ressortissant à la fonction informatique ;
- ensuite, que sa valeur ne semble pas immédiatement perçue par le reste de l’entreprise (sans doute une conséquence du premier point) ;
- enfin, qu’il s’agirait de faire un effort – de communication, j’imagine – pour la légitimer, la vendre, la justifier aux yeux du monde.
En tout premier lieu, il convient de préciser de quoi nous parlons. Qu’est-ce que l’architecture d’entreprise ? Je suis désolé de revenir sur cette question que l’on voit fleurir chaque mois sur les forums et qui déclenche, à chaque fois, une avalanche de réactions. Néanmoins, nous ne pourrons pas répondre à la question posée avant d’avoir clarifié son concept central. Pour définir un tel objet, nous devrons d’abord en retrouver l’inspiration originelle, puis le positionner par rapport aux autres disciplines. Armés de la définition, nous pourrons reprendre la question.
L’architecture d’entreprise, en théorie
Personnellement, j’aurais tendance à faire confiance au langage (plus qu’aux Hommes, et tant que les Hommes n’auront pas trop abîmé le langage). Dans l’expression « architecture d’entreprise », il me semble reconnaître le mot « entreprise ». S’il s’agit d’une discipline, son objet doit donc être l’entreprise, dans son entier. Certes, le besoin est patent d’une discipline qui soit capable d’embrasser toutes les composantes de l’entreprise, tous ses aspects, afin de les articuler et de faire circuler les idées entre les silos d’expertise. Ce qui est en jeu n’est rien moins que la capacité à innover et à transformer l’entreprise.
Ensuite, nous avons le mot « architecture ». Bien sûr, il apparaît ici dans un usage métaphorique. La métaphore de l’architecture n’est pas nouvelle : nous la convoquons à chaque fois que nous voulons mettre en avant la maîtrise et la conception consciente de la structure. Elle a cours, depuis toujours, dans le milieu de l’informatique. Elle y prolifère même : architecture matérielle, architecture logique, fonctionnelle, applicative, logicielle… architecture d’un compilateur, etc. Une vache y perdrait son veau, et un curé son latin ! (NB : il y a beaucoup de grec, là-dedans)
Faisons simple :
L’architecture d’entreprise est la discipline qui prend l’entreprise comme un tout, et qui élabore, consciemment, consciencieusement, sa structure.
L’architecture d’une entreprise en est le résultat. Ne confondons pas le livrable « dossier d’architecture de l’entreprise » avec ce résultat : l’entreprise même, construite, transformée, régénérée, selon la structure qui a été conçue et qui devient sienne. Les plans de l’architecte ne sont pas le bâtiment (la carte n’est pas le territoire, ceci n’est pas une pipe, les médias ne sont pas le monde, etc.). En tout cas, l’analyse de l’expression nous conduit à cette conclusion : l’architecte d’entreprise s’occupe… de l’entreprise !
L’architecture d’entreprise, en pratique
Qu’en est-il en réalité ? Qui se parfume de ce beau titre d’architecte d’entreprise ? Quelle est sa formation ? sa position dans l’organigramme ? sa pratique ?
Il est facile de répondre à ces questions puisqu’une puissante machine de guerre a été mise en place sous la bannière de l’Enterprise Architecture. J’ai nommé : l’Open Group et la certification TOGAF (The Open Group Architecture Framework). On nous dit que quelque 38.000 architectes sont certifiés TOGAF à travers le monde, ceci sans compter les personnes qui ont obtenu leur certificat à partir de versions antérieures, ni celles qui, sans être certifiées, sont fortement exposées au sujet ou y font constamment référence. Même les administrations françaises sont touchées par le phénomène ; on les avait connues plus résistantes à la culture méthodologique américaine.
Donc, la population des « architectes d’entreprise » est facile à identifier, d’autant qu’elle ne manque pas de dispositifs pour s’exprimer : un réseau d’associations dans tous les pays, des centaines de forums dans toutes les langues.
Où les trouve-t-on ? Réponse : sans exception aucune, dans les directions informatiques. Est-ce la meilleure position pour aborder tous les aspects de l’entreprise ? Est-ce que la pratique informatique prédispose à la transformation et à l’ouverture sur les réalités de l’entreprise ?
Concédons que l’on peut se trouver à un endroit de l’organisation et agir ailleurs. Est-ce le cas de l’architecte d’entreprise ? Pas sûr. Nous pouvons aventurer ce constat : l’architecture d’entreprise, en pratique, est l’architecture informatique à l’échelle de l’entreprise. Encore est-ce là le meilleur des cas. Le plus souvent, la dimension « entreprise » n’y est pas. Il n’est, pour s’en convaincre, que de jeter un œil sur les offres de postes. Elles recensent des compétences et connaissances informatiques, voire strictement techniques, et font fi des autres aspects de l’entreprise. Elles décrivent, le plus souvent, une fonction d’expert technique plutôt que d’architecte technique : la maîtrise d’une technique, pas la capacité à assembler plusieurs techniques pour concevoir un système technique.
Pourquoi, alors, ne pas se contenter de parler d’architecture informatique ? Les raisons sont multiples et nous ne les examinerons pas ici (il faudrait aborder l’histoire des termes, le glissement sémantique constant, les stratégies des acteurs, etc.). L’expression « architecte d’entreprise » s’est simplement substituée à celle d’« architecte informatique ». De même, on n’entend plus parler que du « système d’information » et quasiment plus du « système informatique ».
Il est toujours plus facile de changer les termes que les pratiques.
Quand il s’agit des dénominations professionnelles, c’est pire : dans la foire aux vanités, les titres tournent, ronflent et se galvaudent à une vitesse accélérée.
Ces manipulations langagières ne seraient pas si graves si leurs effets se cantonnaient aux éternels et minables calculs d’intérêt et luttes corporatistes. Mais ce phénomène d’érosion sémantique met en danger le langage, comme outil de représentation et de communication. Parfois, il menace l’avenir des concepts. C’est tout à fait le cas avec l’architecture d’entreprise. Qui aperçoit encore, sous cette appellation, le concept décrit ci-dessus ? Certes pas les dirigeants. En effet, tentons un rapide sondage : demandons aux dirigeants ce que leur évoque l’expression « architecture d’entreprise ». Combien imagineront que cela puisse être autre chose que de l’informatique ? Lesquels, parmi eux, se diront que cela les concerne ? Alors que, justement, le concept initial est une réponse à la situation d’urgence des entreprises et un puissant levier pour leur transformation.
Les entreprises réclament – de toute urgence – une approche holistique, sans laquelle la transformation n’est qu’un vain mot, un songe creux.
Les dirigeants en sont les premiers demandeurs. L’architecture d’entreprise, prise au sens fort, répond justement à cette attente. Comment donc la nommer, maintenant que l’expression « architecture d’entreprise » a été saccagée ?
Faute de mieux, nous continuerons à utiliser cette expression, en l’entendant dans son sens fort. L’ Enterprise Transformation Manifesto repose entièrement sur cette notion et cherche à déployer son ambition et à illustrer son potentiel, dans les termes des décideurs : transformation, valeurs, politique, innovation, responsabilité… Il n’omet pas la technologie, dont l’importance dans la transformation ne saurait être minorée, mais il l’associe aux autres contributions nécessaires pour élaborer une vision complète.
En conclusion, j’adopte cette définition, due à Thierry Biard :
« L’Architecture d’Entreprise permet de concevoir, du métier à la technique, l’Entreprise dans tous ses aspects. »
Le terme « aspect » a, ici, un sens très fort. Il renvoie au cadre de représentation proposé par Praxeme, la Topologie du Système Entreprise.
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